RECORD: Owen, R. 1838. Description d'une machoire inferieure et de dents de Toxodon trouvées à Bahia-Blanca, à 39° de latitude sur la cote Est de l'Amerique méridionale. Annales des Sciences Naturelles, second series (Zoologie) 2: 45-54, pls. 2-3.

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DESCRIPTION d'une mâchoire inférieure et de dents de Toxodon touvées à Bahia-Blanca, à 39°, de latitude sur la côte Est de l' Amérique méridionale,

Par M. OWEN.

Comme j'examinais quelques fragmens de mâchoires et de dents faisant partie de la collection de débris de Mammifères de l'Amérique du Sud, recneillis par M. Darwin, et que l'on avait réunis à part avec des échantillons mutilés provenant d'espèces de la famillie des Édentés, mon attention fut attirée par l'aspect de recines de dents situées à l'extrémité antérieure brisée d'une mâchoire inférieure, et suivant une direction différente, de celle des dents mâchelières, et je fus conduit à examiner avec soin la structure des dents de cet échantillon, et à rechercher dans la collection tous les fragmens correspondans. Mes recherches eurent pour résultat de me faire découvrir des portions des deux branches, et le commencement de la symphyse d'une mâchoire

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inférieure contenant à sa partie antérieure les racines de six incisives, et au moins six molaires de chaque côté. Mais comme les branches ont été brisées par le milieu de la sixième alvéole, il se pourrait que le nombre des molaires eût été le même que dans la mâchoire supérieure du Toxodon.

Le mieux conservé de ces fragmens est figuré dans la planche, 2, fig. 5 et 7. La figure 2 montre la forme de la dent suivant une coupe transversale, et la disposition qu'affecte l'émail à la surface triturante des dents molaires du côté droit, restauration que nous avons faite d'après la comparaison des fragmens de dents brisées qui existent à l'une et à l'autre des deux branches de la mâchoire. Les débris de la symphyse l'on voit représentés dans la figure 5 nous font voir que la mâchoire étail remarquablement comprimée ou étroite d'un bord à l'autre, tandis qu'au contraire les branches étaient d'une hauteur considérable, afin de pouvoir loger les matrices et les bases des dents molaires, lesquelles s'accroissaient indéfiniment.

Les bulbes des six incisives de cette mâchoire inférieure sont disposés suivant un demi-cercle assez régulier dont la convexité est en bas; quant aux incisives elles-mêmes, elles sont dirigées en avant et recourbées en haut comme les incisives inférieures des Rongeurs. Leur forme et leur degré de courbure se voient dans une incisive presque complète ( pl. 3, fig. 3) qui correspond à l'incisive inférieure gauche de la mâchoire inférieure; elle a été trouvée dans la même couche, mais elle appartient à un autre individu.

Ces incisives ont a-peu-près la même grandeur; toutes sont creuses à leur base, et remplies d'une substance minérale endurcie qui reproduit bien la forme de la pulpe vasculaire qui occupait primitivement cette cavité. Des fragmensde dents assez considérables sont demeurés dans quatre des alvéoles pour faire voir que ces incisives, comme celle que nous possédons à-peuprès complète (fig. 3), ne sont qu'en partie revêtues d'émail; mais bien que, sous ce rapport, ainsi que par leur courbure et la durée indéfinie de leur accroissement, elles ressemblent aux dents en biseau des Rongeurs, elles en different par leur figure prismatique comme celle des incisives du Rhinocéros de Suma-

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tra ou des défenses du Sanglier. Deux des faces de chaque incisive, celles qui forment la surface antérieure convexe et la surface moyenne, sont revètues d'une lame d'émail d'environ une demi ligne d'´paisseur, qui se termine à l'arête postérieure formée par la surface qu'elle recouvre et la surface postérieure ou concave. Dans la planche 2, fig. 7, l'émail des incisives brisées est représenté par de petites lignes qui indiquent la direction de ses fibres cristallines. L'espace blanc immédiatement en dedans de l'émail montre l'épaisseur de l'ivoire à la base de la dent; la substance grise intérieure fait voir une coupe du bulbe sécréteur ou de la pulpe dentaire, dont la forme était conique ainsi que d'ordinaire; l'incisive (fig. 3, pl. 3) paraît avoir été brisée au tiers environ de la distance du sommet du bulbe à la base de la dent.

De la position relative des bases on racines de ces incisives, nous pouvons conclure qu'elles divergeaient entre elles de telle sorte que leurs faces tranchantes les plus épaisses se trouvaient en ligne. Des dents d'une structure pareille leur correspondaient à la mâchoire supérieure; c'est ce que prouve la surface tranchante, oblique, semblable à une lame de ciseaux, de l'incisive la plus complète; et c'est un fait digne de remarque, que la présence de dents en biseau (dentes scalprarii) à l'avant de la bouche n'ait pas été nécessairement limitée à des Mammiferes d'une petite taille.

La place qu'occupent les bulbes de ces incisives tout auprès des molaires antérieures correspond à la position des bulbes des incisives de la mâchoire supérieure du Toxodon, et, jointe au volume de ces bulbes, elle indique qu'une portion considérable des incisives inférieures était logée dans la substance de la portion antérieure de la mâchoire. Il est très probable qu'aucune dent verticale ne se développait dans la portion de la mâchoire ainsi occupée par les bases arquées des incisives, et qu'il existait par conséquent un espace vide entre les molaires et les incisives de cette mâchoire inférieure, ainsi qu'on le voit dans la mâchoire supérieure du Toxodon.

Il est également à remarquer que, comme les déviations du type rongeur que nous offre le crâne du Toxodon sont les

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mêmes, sous certains rapports, qui se présentent dans le Wombat, nous trouvons une déviation tout-à-fait correspondante dans la grandeur et la position relative des incisives inférieures, lesquelles, comme dans le Wombat, se terminent en avant des dents molaires, au lieu de s'étendre postérieurement jusque derrière la dernière molaire, comme dans la plupart des vrais Rongeurs. Le Capybara est de tous celui qui se rapproche le plus de ce caractère, les bulbes des incisives inférieures étant situées devant l'intervalle des deux premières molaires.

Les molaires, dans cette mâchoire inférieure brisée, de même que celles de la mâchoire supérieure du Toxodon, ont des bulbes persistans, ce qui est démontré par la cavité conique de leur base représentée fig. 4, pl. 3. Il leur fallait donc des alvéoles profondes, et la mâchoire devait elle-même être d'une profondeur correspondante, afin de pouvoir protéger et loger les bulbes dentaires. Afin d'économiser l'espace et d'accroître la résistance des dents, peut-être aussi pour diminuer l'effet d'une pression directe sur le bulbe très vasculaire et très sensible, les molaires et leurs alvéoles étaient arquées, mais à un degré moindre que celles de la mâchoire supérieure du Toxodon. Ces molaires rappellent encore celles de la mâchoire supérieure du Toxodon, si on les considère suivant leur diamètre antéro-postérieur, en ce que, petites et simples en avant de la mâchoire, elles deviennent de plus en plus grandes et compliquées à mesure qu'elles sont situées plus en arrière. Cependant, elles sont plus étroites dans le sens transversal; mais, si elles appartiennent au Toxodon, c'est un rapport de plus qu'aura cet animal avee la plupart des autres grands Mammifères herbivores; car la surface fixe destinée à supporter la trituration à la mâchoire supérieure est, conformément aux principes les plus simples, plus étendue que la surface mobile qui lui est opposée à la mâchoire inférieure.

La première molaire de la mâchoire inférieure que nous décrivons est petite et d'une structure simple (pl. 2, fig. 6); elle est enveloppée d'une couche d'émail uniformément épaisse, et aucun repline pénètre dans sa substance. Elle est plus arquée qu'aucune des autres molaires, et elle ne semble différer de l'incisive externe que par son enveloppe d'émail complète, et par la direction

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qu'elle suit dans son accroissement. Cette transition graduelle des molaires aux incisives, qui a lieu dans leur structure, est un fait digne de remarque, car on peut regarder les robustes incisives comme représentant des molaires devenues plus simples par suite de la destruction partielle de l'émail, et ayant éprouvé un changement de direction.

La seconde molaire offre un accroissement suivant le diamètre antéro-postérieur; elle est en même temps plus longue, et l'émail, au milieu de la face externe, forme un repli qui pénètre un peu dans la substance dentaire. La lame d'émail qui revêt la surface interne est un peu concave et non interrompue.

La troisième molaire présente encore un accroissement suivant les mêmes dimensions que la seconde; l'émail de la face externe offre un repli tout pareil, mais dirigé un peu plus en arrière.

Dans la quatrième, outre un nouvel accroissement dans les dimensions et un repli d'émail pareil à celui des précédentes, et partant de même de la face externe, mais pénétrant plus profondément, nous trouvons que la surface triturante se complique encore davantage par l'existence de deux replis d'émail qui partent de la face interne pour pénétrer dans la substance de la dent. Ces replis partagent l'étendue de la dent, d'avant en arrière, en trois portions à-peu-près égales; et ils pénètrent obliquement en avant jusqu'à moitié de la substance de l'ivoire.

La cinquicme molaire offre la même structure que la quatrième; seulement elle la surpasse un peu en grandeur.

La sixième présente un accroissement proportionnellement plus grand suivant le diamètre antéro postérieur, qui mesure deux pouces; mais le diamètre transversal est peu augmenté. La structure de cette molaire ressemble à celle de la cinquieme.

Ces molaires n'offrant point dans leur diamètre transversal la même progression d'accroissement que dans leur diamètre antéro-postérieur, les dernières présentent, mais à un plus haut degré, la forme comprimée qui caractérise celles de la mâchoire supérieure du Toxodon.

IX. Zoot.—Janvier. 4

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Cependant il existe une différence de structure entre ces molaires et les molaires supérieures du Toxodon. Dans les premières, en effet, se trouvent deux replis d'émail qui pénètrent de la face interne dans la substance de la dent, tandis que dans les autres il n'existe qu'un repli partant de la surface interne. Dans les molaires inférieures il existe également une lame d'émail qui se réfléchit de la surface postérieure dans la substance de la dent; tandis que dans les molaires supérieures du Toxodon, la lame d'émail de la face postérieure rentre simplement en dedans de manière à décrire dans sa coupe transversale une légere ondulation.

Mais cette différence de structure n'est aucunement incompatible avec la coexistence de ces deux séries de dents chez le même animal, puisque nous trouvons des différences du même degré dans la structure des molaires supérieures et inférieures chez des espèces herbivores actuellement existantes. Si nous examinons, par exemple, les mâchoires du cheval, nous verrons que, non-seulement les molaires supérieures et inférieures diffèrent entre elles à un degré égal à celles du Toxodon, mais que, en outre, ces différences sont d'une nature tout-à-fait semblable. Dans cette comparaison, nous devons borner notre attention à la marche que suit l'enveloppe extérieure d'émail, laissant de côté les croissans centraux d'émail qui constituent la complication plus grande que l'on observe dans les molaires du cheval. Si nous examinons le chemin que suit l'enveloppe extérieure d'émail à la surface usée de la dent, nous la verrons décrire à la surface externe des dents de la mâchoire inférieure une ligne ondulée, avec une convexité médiane comprise entre deux concavités; de la face interne part un repli qui pénètre dans le corps de la dent, et de chaque côté duquel se voit un repli plus petit. Mais, dans la mâchoire inférieure, la ligne d'émail du bord externe, au lieu de se recourber simplement en dehors au miliea de sa longueur, se réfléchit un peu en dedans; tandis que de l'autre côté ou de la face inférieure de la dent, l'émail envoie dans la substance mème de la dent deux replis étendus opposés aux deux intervalles que laisse le repli plus court de la face externe. Ainsi, dans l'hypothèse que

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le fragment de la mâchoire inférieure qui nous occupe appartient au Toxodon, la nature des surfaces triturantes des molaires et les différences que présentent ces dents aux deux mâchoires offrent une analogie remarquable avec ce que l'on observe chez le cheval. Il ne me reste plus qu'une remarque à faire, c'est que, dans le cheval, les repis de l'émail, au lieu d'être simples, droits et formés de deux lames juxtaposées, comme dans le Toxodon, suivent une marche irrégulière, et ont leurs lames constituantes séparées par de la matière corticale; en outre, ces lames divergent entre elles à leur angle de réflexion de manière à augmenter la quantité de substance dense qui entre dans la composition de la dent.

Beaucoup de faits analogues sont connus de ceux qui s'occupent d'Anatomie comparée. Nous avons cité le cheval comme étant l'un de ceux avec lesquels la comparaison est le plus facile; mais j'eusse pu citer de même le Rhinocéros de Sumatra, dont la tête existe dans la collection de Hunter, et dont j'ai déjà eu occasion de parler. Dans cette espèce, les molaires antérieures aux deux mâchoires sont petites et simples, et les dents deviennent de plus en plus complexes à mesure qu'elles sont situées plus en arrière. La troisième molaire supérieure offre une seule lame d'émail qui part du bord interne, et se prolonge, en se repliant obliquement en avant, jusqu'au milieu de la dent; la lame externe décrit une simple ondulation. La molaire opposée à la mâchoire inférieure n'a que la moitié de son épaisseur; mais sa surface triturante est encore plus compliquée car deux replis d'émail naissent de son bord interne, et un seul plus court et plus épais, de son bord externe. Ainsi, cette dent offre une ressemblance étroite avec l'une des molaires postérieures de la mâchoire inférieure du Toxodon; mais elle en diffère essentiellement en ce qu'elle n'a qu'un accroissement limité, et que, par conséquent, elle est portée sur de véritables racines. (1)

(1) La persistance du bulbe n'est pas sculement en rapport avec la nécessité de faire subir aux alimens une trituration très complète, mais encore avec la longévité des individus. Le terme de la vie dans les animaux herbivores dent l'accroissement des dents est temporaire, dê-

4.

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Si nous voulons déterminer la nature des substances organisées que les dents du Toxodon étaient destinées à broyer, nous ne devons pas seulement prendre en considération la nature de ces dents, mais aussi la faculté de se renouveler indéfiniment, faculté qui compensait la moindre quantité d'émail des dents du Toxodon comparées à celles des Ruminans et des Pachydermes actuels, dont les molaires, une fois parfaitement complètes, ne recoivent plus aucune addition de substance dentaire à leur base. Le Toxodon, par cette circonstance de sa dentition, jouit des mêmes avantages que le Capybara et le Mégathérium.

B en que nous n'ayons pu observer la structure des dents molaires du Toxodon que sur deux exemples senlement, dont l'un est une molaire isolée complète correspondant à la sixième alvéole du côté droit, et l'autre, une portion de la dernière molaire du côté gauche demeurée dans l'alvéole de la tête que nous avons d'abord décrite, nous pouvons nous former néanmoins une idée très satisfaisante de la structure des dents qui manquent, aussi bien que de leur grandeur. Nous savons ainsi, que les molaires de la mâchoire supérieure du Toxodon sont petites et simples à la partie antérieure de la mâchoire, et qu'elles vont croissant en volume aussi bien qu'en complication, et surtout suivant leur diamètre antéro-postérieur, à mesure qu'elles occupent sur l'os maxillaire une place plus reculée en arrière. Sous ce rapport aussi bien que sous celui de leur grandeur, les dents qui appartiennent aux fragmens de la mâchoire inférieure que nous venons de décrire, leur correspondent exactement. Cependant, il existe une légére différence entre ces deux rangées de dents sous le rapport de leur diamètre latéral, celles de la mâchoire inférieure étant plus étroites, ainsi que cela a lieu, bien qu'à un degré moindre dans le cheval et dans les Ruminans. La plus grande différence consiste dans le degré différent de courbure des deux rangées; les mo-

pend nécessairement de la durée de ces instrumens de la mastication. Ainsi les dents d'un mouton s'usent généralement dans un espace de douze ans, et par conséquent la durée naturelle de la vie est limitée à une période à-peu-pres pareille.

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laires inférieures, et surtout celles qui sont le plus en arrière, étant beaucoup moins arquées que celles qui leur correspondent à la mâchoire supérieure. Nous devons observer encore que la courbure des molaires inférieures a sa convexité en dehors, tandis que, dans le Cochon d'Inde et dans le Wombat qui ont aussi leurs molaires arquées, la convexité est extérieure aux molaires d'en haut, et intérieure à celles d'en bas.

Néanmoins, si nous prenons en considération la similitude étroite qu'il y a entre les dents de la mâchoire supérieure du Toxodon, et celles de cette mâchoire inférieure, dans les points les plus essentiels, tels que l'existence d'un germe persistant, leur structure caractéristique et leur forme, la profondeur de leurs alvéoles, leur grandeur relative, et leur degré de complication; et si nous considérons combien l'épaisseur verticale de cette mâchoire inférieure et son étroitesse dans le sens transversal sont en rapport avec la forme caractéristique de la mâchoire supérieure du Toxodon; si, poùr compléter ces ressemblances, nous ajoutons qu'il existe à cette mâchoire un appareil incisif propre à s'opposer aux grandes dents en biseau de la mâchoire supérieure, nous arriverons irrésistiblement à conclure que la mâchoire inférieure, qui vient d'être décrite, doit être rapportée, sinon à la même espèce de Toxodon dont nous avons d'abord ètudié le crâne, au moins à une espèce extrêmement voisine.

Espérons que bientôt de nouvelles recherches dans l'Amérique du Sud viendront compléter nos connaissances relativement à l'ostéologie de ce genre remarquable de mammiferes éteints.

EXPLICATION DES PLANCHES.

PLANCHE 2.

Fig. 1. Tête du Toxodon platensis rèduite au quart de la grandeur naturelle et vue en dessous.

Fig. 2. Dent molaire restaurée et vue par sa surface triturante.

Fig. 3. Dent molaire vue de profil.

Fig. 4. La tête vue en dessus.

Fig. 5. Fragment de la mâchoire inférieure d'un Toxodon, réduit au tiers.

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Fig. 6. Rétablissement des molaires de ce fragment.

Fig. 7. Incisives d'en bas.

PLANCHE 3.

Fig. 1. La tête du Toxodon, vue de profil.

Fig. 2. La même, vue par la face occipitale.

Fig. 3. Dent incisive de la mâchoire infèrieure.

Fig. 4. Section d'une dent incisive, pour montrer la cavité située à sa base.

EXPOSÉ sommaire de diverses observations recueillies pendant plusieurs années sur les insectes nuisibles à l'agriculture, et présentées à l'Académie des Sciences le 29 janvier 1838,

Par M. VICTOR AUDOUIN.

J'ai commencé en 1817, à réunir les matériaux d'un ouvrage qui devra traiter des insectes sous le double point de vue de l'histoire naturelle et de l'agriculture. Depuis lors mon attention, toujours dirigée vers ce but, m'a procuré un grand nombre de faits, que j'ai étudiés et consignés journellement dans des registres d'observation: ils forment aujourd'hui quatorze volumes, auxquels se trouvent joints des dessins et beaucoup de préparations, montrant les diverses métamorphoses des insectes et les altérations très variées qu'ils produisent sur-les végétaux, aux dépens desquels ils vivent. C'est ce travail, résultat de vingt années de recherches, que j'ai l'honneur de présenter à l'Académie, en la priant de vouloir bien permettre que je lui donne une idée succincte de la nature de mes observations et du plan que je me suis tracé

Naturellement réunies dans un ordre chronologique, ces observations peuvent être rapportées à dix chefs principaux. Dans le premier groupe viennent se ranger tous les faits relatifs aux insectes qui nuisent aux semences et aux fruits.

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Rien n'est plus ordinaire que de voir les graines d'une foule de plantes attaquées par des insectes; rien n'est moins connu que la maniére dont ils y vivent et dont ils y ont pénétré. Je me bornerai à citer un seul exemple qui en dounera la preuve.

Tout le monde sait que les pois, les lentilles, les feves sont fréquemment rongés par des insectes, qui vivent dans leur intérieur. Leur présence se manifeste surtout au printemps, et, comme alors, ils se montrent en grand nombre et à l'état parfait dans les magasins, on suppose généralement qu'il en est de ces insectes comme des charancons du blé, c'est-à-dire qu'ils se sont propagés au centuple dans le lieu même où on les conserve. C'est là une erreur qu'il était très utile de rectifier.

Or l'étude que j'ai faite des mœurs de ces insectes destructeurs m'a démontré qu'ils ne pouvaient pas se reproduire dans des graines desséchées, mais seulement dans des graines tendres et encore vertes. Aussi est-ce dans les champs mêmes où l'oncultive ces plantes qu'ont lien l'accouplement et la ponte. J'en aiétudié toutes les circonstances, et j'ai vu que la femelle déposait ses œnfs non pas dans les semences, mais sur la gousse qui les renferme; puis j'ai observé la manière dont le ver naissant, après avoir percé l'œuf par sa face adhérente, savait trouver la graine, et s'insinuait bientôt dans son intérieur par une voie détournée, c'est-à-dire en pratiquant d'abord une galerie, qui cheminait dans une étendue de quelques millimètres entre le cotylédon et son enveloppe.

Veut-on connaître le but de cette singulière manœuvre? Rien n'est plus facile que de se l'expliquer. Si la jeune larve avait continué de creuser la fève, le pois ou la lentille immédiatement au-dessous du petit trou d'introduction pratiqué à l'enveloppe, la loge correspondante, dans laquelle elle doit vivre, et qu'elle agrandit à mesure qu'elle mange, n'aurait pas été close extérieurement par une paroi entière, mais par une paroi perforée. Il lui importe sans doute beaucoup de se soustraire à cette condition défavorable; car jamais elle ne manque d'opérer comme je viens de le dire.

Quoi qu'il en soit, ce point d'introduction, très facile à: distinguer sur les semences vertes, est encore visible sur

[PLANCHE 2]

[PLANCHE 3]

 


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Citation: John van Wyhe, ed. 2002-. The Complete Work of Charles Darwin Online. (http://darwin-online.org.uk/)

File last updated 4 December, 2022