RECORD: Darwin, C. R. 1881. Une lettre de M. Ch. Darwin sur la vivisection. Revue Scientifique de la France et de l'étranger 27 (4 June): 731-32.

REVISION HISTORY: Transcribed by Christine Chua and edited by John van Wyhe 5.2022. RN1

NOTE: See record in the Freeman Bibliographical Database, enter its Identifier here. Translation of F1352. Darwin's copy in CUL-DAR226.1.264


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VARIETES

Une lettre de M. Ch. Darwin sur la vivisection.

La lettre qui suit à été adressée par M. Charles Darwin à M. le professeur Holmgren, d'Upsal, qui désirait connaitre l'opinion de l'illustre savant anglais sur la vivisection.

II y à quelques années les piétistes anglais demandèrent à grands cris l'interdiction de la vivisection, qu'ils considéraient comme immorale. Ils parlaient, disaient-ils, au nom de la charité chrétienne. Mais leur soi-disant charité s'exerçait aux dépens de l'humanité, pour le plus grand bien des cochons d'Inde et des chiens sans maitres. Entraver des recherches utiles à l'homme est une de ces naïvetés - pour ne pas dire plus - que le zèle religieux peut seul concevoir.

Dans le monde savant du continent, on suivait en souriant Jes progrès du mouvement antivivisectionniste; on pensait que jamais le parlement anglais ne s'indicerait devant une pareille demande: mais la loi qui défendait les vivisections fut votée, et les expérimentateurs eurent beau protester, elle est restée en vigueur.

Nous engageons nos lecteurs à relire la lettre qu'adressait M. Carl Vogt à la Revue scientifique du 3 mars 1877, sur le Péché de vivisection. Elle fait bonne justice de l'absurdité du mouvement contre la vivisection.

II est intéressant de voir que des hommes comme M. Darwin approuvent, après mure reflexion, le principe de la vivisection; mais on se tromperait sur nos voisins si l'on se figurait que les protestations des savants anglais seront assez puissantes pour faire abroger une loi défendue par les douces ladies et les pieux clergymen d'Angleterre,

Down Beckenham, 14 avril 1881.

Cher monsieur,

Je réponds à votre aimable lettre du 7 avril, et je ne fais aucune difficulté de vous dire ce que je pense du droit qu'ont les savants de faire des expériences sur des animaux vivants. Je me sers à dessein de celle expression, la trouvant plus correcte et plus facile à comprendre que le mot vivisection. Vous pouvez faire de ma lettre ce que hon vous semblera; mais, si vous la publiez, je désire qu'elle paraisse en entier.

J'ai toujours été partisan de la douceur envers les animaux, et dans mes écrits, Je me suis efforce de répandre celle idée que je considère comme un devoir. Lorsque le mouvement contre les physiologistes commença en Angleterre, il y à déjà plusieurs annees, on affirma que des actes de cruauté étaient exercés contre des animaux et qu'on leur infligeait des souffrances inutiles; je pensai donc que le parlement devait intervenir pour proteger Jes animaux. Je pris alors une part active au mouvement et réclamai une loi qui supprimât tout sujet de plaintes, tout en laissant aux physiologistes la liberté de leurs recherches, mon projet était bien différent de la loi qui fut votée depuis.

Je dois ajouter que l'enquête faite par une commission royale à prouve la fausseté des accusations portées contre les physiologistes anglais.

D'apres ce que j'entends dire cependant, je crains qu'en certains pays d'Europe on ne tienne pas assez compte des souffrances des animaux. S'il en était ainsi, je serais heureux d'apprendre que des mesures ont été prises pour empêcher ces actes de cruauté.

D'un autre côté, je sais que la physiologie ne peut faire aucun progrès si l'on supprime les expériences sur les animaux vivants, el j'ai l' intime conviction que retarder les progrès de la physiologie, c'est commettre un crime contre le genre humain. Ceux qui, comme moi, se souviennent de l'état de cette science, il y a cinquante ans, doivent reconnaitre qu'elle a fail d'immenses progrès et qu'elle avance tous les jours avec une rapidité plus grande.

Quels sont, dans la pratique de la médecine, les progrès que l'on peut attribuer directement à la physiologie, c'est ce que les médecins et les physiologistes seuls peuvent discuter avec compétence, mais, autant que j'en puis juger, les bienfaits obtenus sont déjà considerables.

A moins d'ignorer absolument tout ce que la science à fail pour l'humanité, on doit être convaincu que la physiologie est appelée à rendre dans l'avenir à l'homme et même aux animaux d'incalculables bienfaits. Voyez !es résultats obtenus par les travaux de M. Pasteur sur les germes des maladies contagieuses; les animaux ne seront-ils pas les premiers à en profiter? Combien d'existences ont été sauvées, combien de souffrances épargnées, par la découverte des vers parasite, à la suite des expériences faites par Virchow et autres sur des animaux vivants!

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On s'étonnera, plus tard, de l'ingratitude que l'Angleterre à montrée à ces bienfaiteurs de l'humanité.

Quant à moi, laissez-moi vous assurer que j'honore et que j'honorerai toujours celui qui contribuera qui progrès de cette noble science, la physiologie.

A vous sincèrement, cher monsieur,

CHARLES DARWIN.


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Citation: John van Wyhe, ed. 2002-. The Complete Work of Charles Darwin Online. (http://darwin-online.org.uk/)

File last updated 25 September, 2022